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L’impératif de cohérence
En effet, la Russie avaient fait la proposition que l’on
revienne aux accords du 21 février, accords qui – il faut le rappeler – avaient
été co-signés par des pays de l’Union Européenne. C’était une proposition
raisonnable et c’était dans son cadre que j’avais écrit une des précédentes
notes[1] en
soulignant les conditions auxquelles pouvaient ce faire ce retour[2]. Un retour
à ces accords impliquait la dissolution du gouvernement provisoire, le
rétablissement dans ses fonctions du Président Ianoukovitch et le constate de
l’illégalité du comportement des autorités de la République autonome de Crimée.
Telle aurait été la meilleure des solutions qui restait possible jusqu’au jeudi
6 mars au matin. On conçoit que le retour à Kiev du Président Ianoukovitch
n’aurait pas été chose facile, mais si ses adversaires avaient eu à l’esprit
les intérêts supérieurs du Pays, ils auraient pu, et dû, accepter cette
solution, sachant qu’elle n’était que temporaire et que des nouvelles
élections auraient été bientôt organisées. Encore une fois, je ne dis pas que
cela eut été chose facile, et ce sans même parler des extrémistes de
« Pravy Sektory » et de « Svoboda », dont le rôle dans les
incidents qui avaient conduit à l’accord du 21 février, les tirs de snipers
dont furent victimes tant des policiers que des manifestants[3], reste
encore à investiguer de manière indépendante[4]. Il y avait
beaucoup de méfiance entre les deux camps. Mais, le fait est que cette solution
restait possible.
Néanmoins, le Président Ianoukovitch a fui Kiev dans la
nuit, et un pouvoir de fait s’est installé. Qu’il ait fui parce qu’il craignait
pour sa vie ou que, comme Anne d’Autriche et Mazarin lors de la Fronde il a cru
qu’il serait plus fort hors de Kiev que dedans importe peu. Le pouvoir était à
prendre et des gens l’ont ramassé. Les pays de l’Union européenne considèrent
qu’il s’agit d’une « révolution ». Le problème est qu’une révolution
implique (et suppose) l’interruption de la légalité constitutionnelle. Si l’on
accepte ce point de vue, alors cela donne une légitimité au nouveau
gouvernement mais aussi, il faut le signaler, à la décision des autorités de
Crimée de demander le rattachement à la Russie. Admettre cette solution révolutionnaire,
c’est reconnaître explicitement la faillite de l’État ukrainien. Mais
reconnaître cette faillite implique que l’État post-révolutionnaire ne
sera pas nécessairement identique à celui qui existait dans la période pre-révolutionnaire.
Avec la faillite de l’État vient la faillite, ou la rupture, du pacte faisant
Nation et établissant l’Ukraine comme « res-publica », soit la chose
commune d’une population donnée. Désormais libérée de ce pacte, une partie de
la population peut parfaitement choisir de ne pas le renouveler et de sceller
un autre pacte, soit de manière indépendante, soit en union avec un autre pays.
Du point de vue des principes, la position des Etats-Unis
mais aussi de l’Union Européenne, ne tient pas. Le Président Obama, le
Président de la Commission, et M. Barroso, disent qu’un référendum sur
l’indépendance est illégal. Il ne l’est que si l’on se situe dans le cadre
d’un retour aux accords du 21 février. À partir du moment où l’on se situe dans
le cadre d’un processus révolutionnaire, où l’on considère qu’il y a eu un acte
fondateur avec la constitution du gouvernement provisoire, cela implique que
tous les acteurs de la société ukrainienne sont également libérés des
contraintes constitutionnelles de l’ancien régime. De même, la décision du nouveau
gouvernement de signer au plus vite le traité avec l’Union Européenne implique
que ce gouvernement s’est affranchi des règles anciennes ; sinon il
devrait attendre la tenue des nouvelles élections. Mais, si l’on considère
alors que ces anciennes règles ne sont plus, cela est vrai aussi pour
le gouvernement de la Crimée. En tout état de cause, on ne peut appliquer un
principe de droit à Kiev et un autre à Simféropol !
Les conséquences posibles
Notons, alors, que ceci a des conséquences étendues. Ce qui est
vrai pour la Crimée l’est aussi pour tout autre région de l’Ukraine. Déjà, les
villes d’Odessa et de Nikolaïev ont demandé leur rattachement à la
Crimée ; demain, il est à prévoir qu’elles demanderont aussi d’organiser
un référendum sur le rattachement à la Russie. Demain, certaines villes ou
régions de l’Ouest pourraient décider de rallier la Pologne. Les pays de
l’Union Européenne et les Etats-Unis vont découvrir à leurs dépens ce qu’est
une logique révolutionnaire. Ils
sont déjà en train de découvrir qu’une coopération avec la Russie était
essentielle s’ils voulaient conserver une Ukraine unie et indépendante, et pas
uniquement pour des raisons économiques. Ces pays ont décidé d’exclure
la Russie du jeu du 22 février au 2 mars. Ils doivent maintenant en accepter le
résultat. Dès lors, démoniser la Russie et son Président n’ont plus aucun sens,
si ce n’est de sauver la face de ces dirigeants. Henry Kissinger a d’ailleurs
déclaré « Demoniser M. Poutine n’est pas une politique, mais une manière
de masquer une absence de politique ».
Mais, il est à craindre que les conséquences ne s’arrêtent
pas là. M. Barroso s’était permis, il y a quelques semaines de faire la leçon
aux indépendantistes Écossais en disant que l’adhésion d’une Ecosse
indépendante à l’UE était rien moins qu’évidente. A-t-il pensé un instant à ce
que deviendra sa position si l’UE engage des négociations avec une Ukraine
partitionnée ? A-t-il pensé un instant au signal envoyé par l’UE aux
indépendantistes catalans et basque ? A-t-il pensé un instant à la lecture
qui serait faite en Belgique, tant par les flamands que les wallons, des
événements d’Ukraine ? Les dirigeants de l’EU et des Etats-Unis ont ouvert
la boîte de Pandore. Le choc sur l’Union Européenne de ces événements se
révélera dévastateur. Ce choc va se doubler d’un second, encore plus grave, si
une période de confrontation avec la Russie s’installe. L’Union Européenne est
une zone de faible croissance. Elle risque, dans ces circonstances, de le
rester pour une longue période. Enfin, l’image que renvoie l’Union Européenne
dans le reste du monde, en Afrique et en Asie en particulier, est détestable.
C’est celle d’une puissance néo-coloniale, usant et abusant de ses point de
forces sur les plus faibles, prenant des décisions sans en mesurer les
conséquences et en dépit des principes du droit. Le Président Obama a, un peu
rapidement, affirmé que « la Russie était isolée ». En réalité, ce
pays a reçu un soutien très clair de la Chine et de l’Inde, et de nombreux
autres pays d’Asie. Ce n’est pas tant par sympathie pour les positions russes
que parce que ces pays comprennent la cohérence du droit international et la
nécessité de la respecter.
La logique des événements de la première semaine de mars
2014 est loin d’être épuisée. On
ne sait trop aujourd’hui quelles mauvaises, ou pourquoi pas bonnes, surprises
nous réserve l’avenir. Mais il est clair que nous auront bientôt, lors des
élections européennes, le moyen de sanctionner nos gouvernements pour leur
complète impéritie, voir l’hubris, dont ils ont fait preuve sur la question
ukrainienne.
[1] Sapir J., « Sauvegarder l’unité de l’Ukraine », RussEurope,
le 3 mars 2014, URL :http://russeurope.hypotheses.org/2045
[2] Nombreux furent mes lecteurs pour me dire que s’ils
approuvaient mes propos, ils me trouvaient bien optimiste. Qu’ils sachent que
c’était l’optimisme de la volonté, qui n’empêche nullement le pessimisme de
l’intelligence.
[3] Sapir J., Provocation à Kiev?,
in RussEurope, le 5 mars 2014, URL :http://russeurope.hypotheses.org/2051
[4] Mme Merkel a reconnu dans la conférence de presse qui a
eu lieu à Bruxelles dans l’après-midi du 6 mars que l’origine et les
commanditaires des snipers de la place Maïdan méritait une enquêtes.
On peut cependant se demander ce qu’il en adviendra quand on sait que le
Procureur Général est un membre de « Svoboda ».
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