Les figures de la ville et de l’utopie ont depuis longtemps partie liée. Dès leurs premières apparitions, les utopies se présentèrent sous une forme distinctement urbaine et l’essentiel de ce qui est considéré comme de la planification urbaine au sens large a été infecté (certains diraient « inspiré ») par des modes de pensée utopiques. Le lien est bien antérieur à la première aventure de Sir Thomas More avec le genre utopien en 1516.
Il y a plusieurs manières de comprendre le texte de More et les nombreux schémas utopiques qui ont vu le jour par la suite, tels ceux de Francis Bacon ou de Tommaso Campanella. Je me limiterai ici à un seul axe : la relation suggérée entre l’espace et le temps, entre la géographie et l’histoire. Toutes ces formes d’utopie peuvent être caractérisées d’ « utopies de la forme spatiale » dans la mesure où la temporalité du processus social, la dialectique du changement social –l’histoire réelle – en sont exclues, tandis que la stabilité sociale y est assurée par une forme spatiale fixée. Louis Marin[1] a qualifié l’utopie de More de « jeu d’espace ». More sélectionne en effet un ordre spatial possible parmi de nombreux autres en tant que moyen de représenter et de donner consistance à un ordre moral particulier. Il n’est du reste pas le seul à procéder de la sorte. Mais l’idée nouvelle que Marin nous permet de saisir, c’est que le libre jeu de l’imagination, l’utopie en tant que « jeu spatial », est devenu, grâce à l’initiative de More, un moyen fertile d’explorer un large ensemble d’idées contradictoires concernant les relations sociales, les codes moraux, les systèmes politico-économiques etc.